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Blog de Daniel Guillon-Legeay - Mine de rien, ce blog se propose de développer une approche philosophique sur diverses questions, en prenant appui sur la philosophie bien entendu, mais aussi sur le cinéma, la littérature, les chansons, les arts martiaux, la politique, la morale... Parce que la philosophie s'intéresse à tout ce qui fait de nous des êtres humains, elle ne s'interdit aucune porte d'entrée.

09 Jan

Écrire et résister

Publié par Daniel Guillon-Legeay  - Catégories :  #Coaching, #FluctuatNecMergitur, #Humanités classiques, #Liberté, #Montaigne, #Philosophie, #Vérité

Écrire et résister

Bonjour à toutes et à tous !

 

Avant toutes choses, je vous souhaite une excellente année 2020. Que vos premiers pas dans cette nouvelle décennie vous apporte beaucoup de joie dans votre vie personnelle et de succès dans vos projets professionnels. Et surtout, veillez à ne jamais perdre de vue ni la direction vers laquelle votre désir vous porte, ni à cesser de vous faire confiance en mobilisant les ressources - parfois insoupçonnées – que vous possédez au plus profond de vous.

 

Toutes celles et tous ceux qui me suivent fidèlement depuis la création de ce blog – et je tiens au passage à les en remercier chaleureusement -, auront remarqué l’état de déshérence dans lequel j’ai laissé ce dernier, durant ces douze derniers mois. Il y a eu plusieurs raisons à cet état de fait, certaines d’ordre personnel, d’autres d’ordre social et politique.

 

Comme un goût de cendres

 

Comme vous le savez, je n’aime guère parler de moi, de ma vie. Sur le plan personnel, je ne puis passer sous silence la convergence de différents facteurs ayant conduit à mon silence. D'abord, la mélancolie qui fait apparaître dans la lumière blanche d'un soleil noir l'absurdité de notre monde, la vanité de toutes choses, la fragilité et l'insignifiance de notre humaine condition, la dérision de nos projets et de nos prétentions. La mélancolie donne au moindre plaisir de l'existence comme un arrière-goût de cendres. Il y a aussi la solitude de l’écrivain (aussi modeste soit-il); elle n’est hélas pas un mythe. Par ailleurs, la vie professionnelle consomme une grande partie de notre temps et de notre énergie, et peut engendrer parfois une grande fatigue (tous les travailleurs connaissent cette fatigue, non les rentiers). Enfin, le doute qui conduit à remettre en question la valeur de vos écrits, à suspecter la vanité et l’inutilité de l’écriture elle-même.

 

Un monde en crise

 

Sur le plan social, politique et civilisationnel, nous vivons dans une société en crise, du moins en pleine mutation. Comment un simple mortel pourrait-il changer quoique ce soit à ce monde régi par la cupidité, la violence, le mensonge, la corruption, avec pour seule arme sa plume [ou son clavier] ? N’est pas Voltaire qui veut !

 

Comment lutter efficacement, avec un moyen aussi dérisoire qu'un stylo, contre les outrages graves –et peut-être irréversibles ? - infligés à la nature par des hommes brutaux, cupides, égoïstes ?  Comment inverser la tendance qui réserve aux plus faibles et aux plus démunis un sort de plus en plus misérable, relégués dans des taudis, ou condamnés à vivre et à mourir sous les ponts, tandis que les riches deviennent toujours plus riches ? Comment aider les jeunes à s’insérer dans un monde qui durcit sans cesse l’accès à l’emploi et au logement, qui modifie à sa guise la législation sur le droit du travail pour mieux l’accorder aux diktats du néo-libéralisme ? Comment croire que le vote aux élections constitue encore un moyen efficace de changer le monde, quand on sait à quel point le vote peut-être influencé et manipulé par les géants du Net (voyez ce qu’il est advenu aux États-Unis, suite à l’immiscion de la société Cambridge Analytica dans la campagne présidentielle américaine de 2016, avec la complicité active de Facebook et des services de renseignements russes) ? Comment empêcher la haute finance de détourner les richesses produites par le travail des hommes et des femmes partout dans le monde ? Comment faire confiance à des dirigeants arrogants qui entendent gouverner le monde sur la base de leurs humeurs foutraques et de leurs idées fixes, au détriment de l’intérêt général et du bien commun ?  Comment se déprendre de l’influence croissante et néfaste des technocrates "hors-sol" dans les gouvernements et les administrations, de celle de communicants à leur solde, rodés à toutes les formes d’imposture et de manipulation ? Comment garder foi dans des systèmes d’information où pullulent des pantins faisant la pluie et le beau temps sur les chaînes d’information et sur les réseaux sociaux, qui enflent leur égo démesuré à mesure que s'exacerbent les polémiques qu’ils entretiennent savamment, surtout lorsqu'ils prétendent combattre le déferlement de haine en usant et en abusant de raisonnements spécieux, tortueux et sophistiques ?

 

Panem et circenses

 

En outre, en ma qualité de professeur, j’ai conscience de faire partie désormais des derniers des Mohicans, des ultimes hussards de la République convaincus que la tâche de l’École consiste dans l’instruction, dans la transmission du savoir, et sa finalité dans la culture de l’esprit, et qu’elle requiert comme conditions de faisabilité de la curiosité intellectuelle, de l’humilité, de la patience, de l’obéissance et de la discipline. Mais depuis des décennies, « la société du spectacle » dont parle Guy Debord a fini par imposer sa logique dominante de l’entertainement, de l'amusement, du divertissement.  Or, nous dit Pascal, le divertissement consiste en cela que les hommes s’attachent passionnément aux choses inessentielles (de nos jours : la mode, la chasse, les tournois de foot, les jeux télévisés, les gadgets high tech, les frasques des célébrités…) pour ne pas avoir à se soucier des choses essentielles (par exemple : la prière, la religion, le bonheur, la réflexion, l’amitié, la culture, la sagesse, la nature …). Or, il ne se passe pas un jour sans que je ne rencontre, de près ou de loin, des enseignants obnubilés par les promesses mirifques du tout-numérique dans les écoles, qui ne jurent plus que par la gamification, la ludification, les jeux sérieux et les escape games. Grand bien leur fasse ! Mais il devient manifeste à mes yeux que l'on oublie la mission de l’École qui est d’instruire les élèves, de transmettre le savoir élaboré, amendé, revisité, réinterrogé en permanence par des grands esprits au fil des siècles, et qu'on lui substitue une culture de l'amusement en feignant de "placer l’élève au centre du système éducatif", de lui épargner l’ennui et de veiller sur son plaisir. Comme si le fait d'acquérir des connaissances nouvelles, exercer librement son jugement, découvrir et manier des concepts, comprendre et grandir en autonomie ne procurait pas un plaisir en soi ?

 

C'est le point de vue que je soutenais en adressant ma lettre ouverte à la ministre de l'Éducation de l'époque : " Il ne faut jamais perdre de vue que l’autorité du maître est structurante pour l’élève. Car le magister n’est pas le dominus : quand le premier forme l’esprit de l’élève en lui transmettant son savoir, le second impose à l’esclave la logique de sa volonté inflexible et de son intérêt propre. Or, le statut officiel que lui confère l’institution scolaire compte, en vérité, assez peu dans la véritable autorité du maître. Celle-ci procède bien davantage de l’étendue et de l’excellence de son savoir, ainsi que de ses qualités personnelles : la générosité, la bienveillance, la sévérité, la rigueur, la justice, l’écoute, l’attention, le sens du dialogue…"    

 

Or, il ne se passe pas un jour sans que je ne rencontre, de près ou de loin, des enseignants obnubilés par les promesses mirifques du tout-numérique dans les écoles, qui ne jurent plus que par la gamification, la ludification, les jeux sérieux et les escape games. Grand bien leur fasse ! Mais il devient manifeste à mes yeux que l'on oublie la mission de l’École qui est d’instruire les élèves, de transmettre le savoir élaboré, amendé, revisité, réinterrogé en permanence par des grands esprits au fil des siècles, et qu'on lui substitue une culture de l'amusement en feignant de placer l’élève au centre du système éducatif, de lui épargner l’ennui et de veiller à ce qu’il prenne du plaisir en manipulant des tablettes. Comme si le fait d'acquérir des connaissances nouvelles, exercer librement son jugement, découvrir et manier des concepts, apprendre, comprendre et grandir en autonomie, ne procurait pas un plaisir en soi ? Une telle démission de l'École produit des effets catastrophiques, avec un taux record de bacheliers ignorants et quasi-illettrés. En réalité, ce nihilisme pédagogique paré des atours de l'innovation et de la modernité n’a pas d’autre but que d’acheter la paix sociale et, subséquemment, de produire des travailleurs idiots mais dociles. Mais pour ma part, ce monde ne m’intéresse pas.

 

Il existe un vieux proverbe qui exhorte tout un chacun, lorsqu'il n'aime pas une chose, à ne pas tenter d'en dégouter les autres ; après tout, c'est vrai, chacun possède sa propre conception des choses qui, pour être critiquable (en droit, toute opinion s'expose à la critique), n’en demeure pas moins respectable.

 

J'en étais arrivé à croire que ma boussole était cassée pour de bon et mon cap perdu de vue à jamais. En un mot, j’avais fini par abdiquer du pouvoir de penser et de parler librement qui est en moi. Mais en tant que père, citoyen, professeur, et coach, en dépit de ce poids sur mes épaules et des doutes qui me taraudaient l'esprit, une petite voix en moi persistait à ne pas abandonner la partie, à ne pas me résigner à un silence équivalant à une défaite de la pensée.

 

Assis sur des épaules de géants

 

Il se trouve que durant ces dernières vacances, je me suis replongé dans des livres de philosophie et de littérature qui m’ont redonné le goût de lire et d‘écrire : les Essais de Montaigne, l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, le Plaidoyer pour l’universel de Francis Wolff et, aussi, l’ouvrage de mon collègue René Chiche, La désinstruction nationale.

 

Alors, je décide de reprendre le combat. De nouveau, ma plume va reprendre du service et mon clavier se remettre à crépiter. Et cette fois, je n’entends plus faire la moindre concession. Dans le temps qu’il me reste à vivre, je veux - dans la mesure de mes humbles moyens et de mon modeste talent - continuer à développer ma pensée, à défendre mes convictions, à partager avec d’autres mon idée de l’homme et du monde. Trop de demi-instruits (savoureuse expression que j'emprunte à René Chiche) saturent les ondes, monopolisent les plateaux de télévision et les réseaux sociaux pour y déverser leur fiel, leur bêtise, leur malveillance, leur ressentiment. Si par ma voix, mes écrits et mes talents de passeur de savoir philosophique, je peux en quelque chose contribuer à transmettre un peu de cette sagesse que contiennent les œuvres de la philosophie, de la littérature et du cinéma (mes trois passions), alors j’estime qu’il vaut la peine d'essayer une fois encore, et que mes efforts ne seront pas vains.

 

Paradoxalement, les raisons qui poussent un écrivain à se taire - un "écrivaillant" disait Gaston Bachelard, par dérision -  s'avèrent aussi  éclairantes que celles qui le poussent à se produire en public. Pourquoi écrit-on ? "L'"écrivain", l'"intellectuel " (autant de termes imposants et  intimidants que je ne permettrais guère de revendiquer, moi qui me définis comme un simple lettré, un  professeur) a-t-il ou non une responsabilité au sein de la Cité ?  Face à  l'immensité du ciel - lequel est peut-être vide, ou rempli de divinités   ? - et promis à être engloutis dans l'éternité comme fétus de paille emportés par le vent, peut-être pas ; une telle prétention  peut sembler dérisoire.  Mais face à la communauté des êtres humains, la réponse est peut-être  différente.

 

Pour me faire comprendre, laissez-moi vous rapporter une expérience qui m'a beaucoup marqué. Elle s'est produite au festival America, à Vincennes. J'entends encore la voix de grands auteurs de la littérature amérindienne, notamment celle de Philipp Meyer (Le fils), de David Treuer (Comme un frère, Et la vie nous emportera) ou encore de Louise Erdrich (Le jeu des ombres, La Malédiction des colombes). Unanimement, ils et elle définissent ainsi le sens de leur travail : à travers leurs écrits et leurs récits, se faire les porte-voix de leurs peuples qui ont connu tant de tragédies au point de risquer de disparaître complètement, qui ont fait preuve d'une résilience incroyable pour se relever et reconquérir aujourd'hui leur dignité et reconstruire les bases de leur culture ancestrale. Et quand les danseurs et shamanes entonnent leur chant au son des tambours pour signifier leur reconnaissance et leur gratitude à l'égard de ces écrivains qui ont leur ont rendu leur voix, je vous jure que l'effet est saisissant ! Je ne suis pas près de l'oublier !

 

Aussi, je me dis que si par ma plume, je peux transmettre encore un peu de cette lumière de l'esprit qui nous vient du passé, léguée par Platon, Montaigne, Épicure, Jane Austen, Épictète, La Boétie, Spinoza, Aristote, Lucrèce, Marcel Proust, Baudelaire, Claude Lévi-Strauss, Kant, Marguerite, Yourcenar, Stefan Zweig, Albert Camus, Virginia Woolf, Michel Tournier et tant d'autres, alors il y aura une raison d'espérer que l'humanité saura se souvenir d'où elle vient, pour mieux savoir où elle veut aller.

 

Memento audere semper ("Souviens-toi de toujours oser")

 

Pour toutes ces raisons, à compter de ce jour, je décide donc de me rallier à nouveau à l’immense cohorte des femmes et des hommes qui, hier comme aujourd’hui, ont fait et continuent de faire le pari de l’intelligence contre la bêtise, de la vérité contre le mensonge, de la justice contre l’arbitraire, de la résistance contre l’oppression et la propagande.

 

« Écrasons l’infâme ! » avait coutume de dire Voltaire. Voici une excellente et salutaire exhortation à la résistance, par les mots et les idées.

 

Daniel Guillon-Legeay

 

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