La mort en ce jardin
La Madeleine à la flamme filante, Georges de La Tour (1638), musée du comté de Los Angelès (États-Unis).
La règle du jeu
Voici la suite attendue de l' article précédent .
Ce nouveau texte contient trente-six (36) noms cachés de philosophes.
Je vous recommande de procéder en même façon : d'abord, laissez-vous aller au fil du texte, sans rien y chercher encore, histoire d'en saisir la forme et le contenu explicite ; ensuite, amusez-vous à le relire, à la manière d'un détective, en recherchant les noms cachés.
Faites-moi connaître votre réponse dans les commentaires. Dans 24 heures, je vous donnerai toutes les réponses. Je vous souhaite une agréable lecture et une plaisante recherche.
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La mort en ce jardin
Mon cher ami,
Je m’empresse de répondre à ton précédent mail et te donne en retour de mes nouvelles.
La semaine dernière, dans la rue, j’ai croisé à l’improviste une femme qui jouait avec des cartes. Tu te rends compte ? Nous avons longtemps parlé ensemble. En fait, nous sommes voisins ! Pire, on a réalisé que nous avions des enfants dans la même école, avec sa cour remplie de jeux : vélos à trois roues, seaux, pelles et ballons ! Quelle rencontre ! Par mes nids d’amour, c’est le coup de foudre entre nous ! Je n’en reviens pas ! Auguste inconnue hier, elle est désormais mon amante ! Nous échangeons masques et piqûres, le pain bon marché, le vin assez cher (mais pas de champagne ni de kir, que garde son époux dans un coffre). Et, bien sûr, nous partageons les délices de l'adultère !
Chaque jour, quand nous marchons près du fleuve, si changeant qu’on ne peut s’y baigner deux fois, sur la berge sonne le tocsin au clocher de l’église. Le coronavirus sévit ! Sophie me presse de rentrer, car nous avons enfreint les règles du confinement ! Moi, je ris, coeur vaillant. Face au danger, je m’efforce de lui faire entendre raison : « Quand ta mort se profile, ô Sophie, que te chaut qu’il soit aujourd'hui ou demain ? N’est-ce pas là notre destin ? Aïe, des guerres, c’est certain, ont fait plus de victimes encore, et la grippe espagnole bien davantage ! ».
Elle me répond, d’un air renfrogné : « Épique tête, tes raisonnements sont justes, mais je ne puis m'y soumettre, car je tremble de peur. Je ne veux pas mourir maintenant, voilà le point. Hume le parfum des fleurs, et dis-moi si de partir l’heure est venue ? ». A travers ses larmes, elle s’efforce de sourire et me dit : « De Rotterdam à Paris, de Rome à Madrid, je songe à tous ceux qu’emporte l’épidémie. La herse de la mort s’abat partout autour de nous ! Mais, toi et moi sommes encore bien vivants ». Puis, le cœur en loques, elle m’adresse sa supplique : « Quant à toi, aime-moi ! Hue, serre-le, presse-le contre toi, mon pauvre cœur en désarroi ! ». Je suis troublé par son émoi. Aussi, je m’efforce d’articuler des mots sots, sûr - à demi seulement - de pouvoir la réconforter. Sans grand succès. Je tente alors un appel à la raison pour lui rendre le goût de vivre : « Ah, ris, tôt et de bon cœur, car tel est le propre de l’homme ! ».
Peu après, quand ses larmes ont séché, je lui propose de faire l’amour, remède que je sais efficace pour chasser la mélancolie. Aussitôt dit, aussitôt fait. Au lit, elle se déride alors. Je l’incite à s’abandonner à la volupté. Elle dépose des baisers ardents, sur ma bouche, sur mon front et sur mon nez camus. Emporté par la fureur de nos ébats je lui crie : « Jouissons à en mourir ! À plat ton missel, à bas le lucre ! Est-ce assez ? Que le plaisir nous emporte !». Elle et moi commençons à boire et à perdre la tête : elle chante, et moi je ris à gorge déployée, je bois et gueule de plaisir. Car tel est mon critère de choix : si c’est rond, fin et gouleyant, alors je prise la dive bouteille ! Plus tard, quand nos corps sont en sueur, elle ouvre les persiennes de la chambre. Une brise légère s’engouffre dans la pièce. Je regarde ses longs cheveux onduler, puis l’entends murmurer : « Oh ! Lutte, air pur, et chasse loin d’ici l’infect virus ! ».
Au dehors, le printemps étale sa luxuriance fallacieuse, car, nous le savons bien, tout va à bien ou à mal, branches abritant les nids de freux, de pies ou d’étourneaux. Que c’est beau ! Voir un tel prodige de la nature ravit le cœur. Mais que c’est cruel aussi ! Car, à l’ombre des arbres qui ont fleuri, la mort rôde, la faux à la main, un sourire mauvais au coin des lèvres… Depuis l’origine, depuis cent cinquante mille ans au moins, Éros et Thanatos ne cessent de s’affronter, sans trêve ni repos. Partout sur la terre, la mort imprime dans la trame de l'existence sa marque aux reliés et déliés funestes, tandis que les vivants - oiseaux, poissons, chevaux, taureaux, humains, fleuves et forêts - déploient avec frénésie leur désir de vivre.
Pour conclure, je donne mon avis : c’est ne pas faire preuve de sagesse que de vouloir apprendre à vivre sans oser regarder la mort en face.
Pour la session de rattrapage : les sous-titres dans cet article renvoient à deux films : quels en sont les réalisateurs ? Vous avez quatre heures ;-)
Je publie la fameuse liste des noms des philosophes cachés. Mais avant cela, laissez-moi vous faire deux remarques . Je suis ravi de constater le plaisir manifeste que vous semblez avoir pis à lire ce texte drôlatique et métaphysique, et je suis émerveillé par votre sagacité de détectives en herbe. Hercule Poirot n'a qu'à bien se tenir ;-)
Ensuite, il apparaît que j'avais fait fait une erreur dans mon décompte : il n'y avait pas 36 mais bien 37 noms cachés ! Mais en vous lisant, je découvre que le chiffre s'élève en réalité à 39 ! Argh ! Tout d'un coup, je me sens pris d'un accès de fièvre.. Le coronavirus serait-il entrain de me jouer un mauvais tour ? Preuve s'il en est que le texte appartient non seulement à l'auteur mais encore au lecteur.
Je vous remercie toutes et tous pour votre bienveillante, active et ingénieuse participation.
Alain - Descartes - Comte - Pyrrhon - Rousseau - Parménide - (St)-Augustin - Épicure - Levinas - Kierkegaard - Bergson - Ricoeur - Heidegger - Épictète - Hume - Diderot - Laërce (Diogène) - Locke - Kant - Husserl - Saussure - Aristote - Derrida - Camus - Platon - Lucrèce -Hegel - Cicéron - Plutarque - Luther - Malebranche - Freud - Beauvoir - Fleury - Mill - Morin - Marc-Aurèle - Thoreau - Avicenne
J'avais en outre introduit le mot de Philosophie. Et, pour les sous-titres, il s'agit du chef-d'oeuvre de Jean Renoir, La grande illusion, réalisé en 1937, et de La mort en ce jardin, film franco-mexicain de Luis Bunuel, réalisé en 1956.

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