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Blog de Daniel Guillon-Legeay - Mine de rien, ce blog se propose de développer une approche philosophique sur diverses questions, en prenant appui sur la philosophie bien entendu, mais aussi sur le cinéma, la littérature, les chansons, les arts martiaux, la politique, la morale... Parce que la philosophie s'intéresse à tout ce qui fait de nous des êtres humains, elle ne s'interdit aucune porte d'entrée.

10 Oct

Orson Welles, phénix du cinéma

Publié par Daniel Guillon-Legeay  - Catégories :  #CINEMA, #Orson Welles

Orson Welles

Orson Welles

 

Il y a trente ans, le 10 octobre 1985, disparaissait Orson Welles, artiste accompli s’il en fut, génie du cinéma, metteur en scène iconoclaste et acteur hors pair, à qui nous devons entre autres films éblouissants : Citizen Kane (1941), La Splendeur des Amberson (1942), Le Criminel (1946), La Dame de Shanghaï (1946), Macbeth (1948), Othello (1952), La Soif du Mal (1958), Le Procès (1962)…

 

De tous les cinéastes que je connais, il est l’un de ceux qui m’ont le plus fortement et le plus durablement impressionné. Parce que découvrir l’œuvre d’Orson Welles, c’est non seulement traverser une partie de l’histoire du cinéma, mais encore ressaisir le cinéma dans son mouvement de perpétuelle création.

 

Le phénix

 

Histoire du cinéma, d’abord. Avec Fritz Lang et Alfred Hitchcock, Orson Welles invente ce fameux « cinéma d’auteur » dont les cinéastes de la « Nouvelle Vague »  - François Truffaut en tête - revendiquent l’influence déterminante. Il s’agit de s’affranchir des stéréotypes et des genres convenus pour inventer une nouvelle manière de faire du cinéma. Hitchcock peut donner l’impression de se conformer davantage aux codes et aux stéréotypes dominants ; mais c’est pour mieux les détourner, les subvertir afin de leurrer les censeurs et imposer son style si personnel. Welles, en revanche, choisit une approche délibérément en rupture, revendique une complète indépendance dans la réalisation de ses films. A l’âge de vingt cinq ans, il se voit proposer « un contrat comme aucun autre réalisateur n’en a encore jamais connu: un salaire mirobolant et le droit d’être le scénariste, le réalisateur, l’interprète et le producteur de ses films »[1].

 

Mais à ce jeu de l'indépendance, Welles va très vite se brûler les ailes et compromettre, de ce fait, les œuvres que son génie lui inspire. Citizen Kane reste encore aujourd'hui un film de référence pour tous les cinéphiles. Mais lorsqu'il sortit aux Etats-Unis, et qu'il commença ensuite à être diffusé en Europe, les critiques furent sidérés par son audace et sa radicalité.      « Par son apport stylistique et intellectuel considérable et fécond, il ébranlait les colonnes du temple hollywoodien ». André Bazin a encore cette parole magnifique : « Avec Jean Renoir, la France eut La Règle du Jeu; avec Orson Welles, Hollywood eut Citizen Kane". [2] Hélas, le public ne suivit pas. Il ne comprit pas davantage les deux films suivants de Welles : La Splendeur des Amberson, Voyage au pays de la peur. Rapidement brûlé à Hollywood, devenu suspect aux yeux des producteurs, le jeune prodige va devoir, tout au long d’une carrière erratique, jouer avec le diable pour pouvoir réaliser ses films.  Mais, tel le phénix qui renaît de ses cendres, Welles, en acteur de génie, va se lancer dans une époustouflante carrière au théâtre comme au cinéma, jouant dans les films des autres pour pouvoir réaliser les siens…

 

Le cinéma en mouvement

 

De l’immensité de son œuvre, je retiens sa volonté d’expérimentateur toujours en quête de nouveauté. Dès Citizen Kane, les films de Welles se caractérisent en effet par  « une nouveauté profonde de style et de langage »[3] Ses découvertes ne se comptent pas. Il est difficile, par exemple, de ne pas évoquer son travail sur la valeur signifiante du plan-séquence, ou celle encore de la profondeur de champ. Les cinéastes, les publicistes et les théoriciens du cinéma s’y réfèrent encore aujourd’hui. Ainsi, et pour ne prendre qu’un unique exemple, dans Citizen Kane, la scène de suicide de Susan (l’épouse infortunée du tyrannique C.F. Kane) reste inoubliable. A mesure que la caméra s’approche lentement de la jeune femme alitée, le spectateur découvre les éléments du drame : le verre d’eau, le tube de comprimés, le souffle court de la jeune femme… A l'arrière-plan, hors du cadre, on entend le mari alarmé qui tente de forcer la porte de la chambre. Le plan s’allonge en durée jusqu’à devenir séquence, se chargeant progressivement d’une intensité visuelle et d’une tension dramatique extrêmes. Chez Welles, « le travail sur la profondeur de champ représentait une véritable révolution dans le style cinématographique, une affirmation de l’intégralité de l’espace et du temps, qui allait à l’encontre des théories traditionnelles sur le montage cinématographique »[4]. De ce fait, avec Welles, le cinéma s’éloigne définitivement du théâtre et se développe davantage comme récit.

 

Les vertigineux mouvements de caméra, le jeu sur les focales et sur les éclairages concourent à une esthétique baroque d’une flamboyance assumée. Il faut absolument revoir le préambule de Citizen Kane ; en un seul mouvement, la caméra parcourt la trajectoire qui part de la rue et pénètre dans la chambre, après avoir franchi les grilles en fer forgé de la propriété (No trespassing). Ou encore la séquence hallucinée du Procès où Joseph K. cherche à s’enfuir à l’intérieur d’un interminable corridor. Ou encore, dans La soif du Mal, la scène, terrible dans laquelle l’inspecteur Quinlan (magistralement interprété par Orson Welles) s’apprête à truquer les preuves pour incriminer le coupable. Il faudrait dire encore le génie de Welles comme scénariste (dans sa manière de briser la chronologie du récit dans Citizen Kane). Comme metteur en scène également, par sa façon de construire les scènes (celle du bal dans La Splendeur des Amberson ; celle du règlement de compte final, dans une galerie de glaces, lorsque les personnages de La Dame de Shanghaï ne savent plus s’ils tirent sur leurs ennemis ou sur leurs reflets dans les miroirs).

 

Charme

 

De l’œuvre immense d’Orson Welles, je retiens également cette capacité à inventer des formes nouvelles éblouissantes sans jamais perdre de vue la force dramatique de l’histoire qu’il conte, ni l’intensité émotionnelle du plan qu’il montre. Son intellectualité n’annihile pas son sens de la poésie. S’il a su construire une œuvre baroque d’une flamboyance extraordinaire, il nous fait voir aussi les tourments et la noirceur de l’âme humaine, la beauté d’un idéal et l’éclat d’un rêve brisé. De tous ses films, La Soif du Mal (1958) est pour moi l'un des plus fascinants de Welles, et assurément l'une de ses oeuvres maîtresses. On y retrouve tous les éléments de son langage cinématographique: de longs plans séquences magnifiés par les effets de la profondeur de champ et la mobilité incroyable de la caméra, le jeu sur les focales, l'usage insistant des plongées et des contre-plongées, le rythme extrêmement rapide imprimé au montage... A cet égard, il faut voir - ou revoir - l'incroyable plan séquence qui ouvre le film, où la caméra virevolte littéralement autour des personnages et semble se jouer de la frontière américano-mexicaine qui les retient. Là encore, comme souvent chez Welles, la prouesse technique ne vaut pas pour elle-même ; elle est chargée d’exprimer une signification métaphysique précise.

 

Je terminerai en laissant la parole au Maître : « Les gens se trompent en croyant que ma préoccupation première concerne les simples effets plastiques du cinéma. Ceux-ci, pour moi, dérivent tous d’un rythme intérieur, qui ressemble à la  forme de la musique ou de la poésie. Je ne me promène pas comme un collectionneur à la recherche de belles images à coller toutes ensemble… Je crois à la valeur du cinéma comme moyen de communication poétique… Aucun film ne trouve sa justification à lui seul, ne signifie quoique ce soit – qu’il soit beau, terrifiant, tendre... – tant qu’il ne rend pas la poésie possible. Ce qui n’est pas peu dire, car la poésie devrait nous donner des frissons, suggérer, évoquer davantage que ce que nous voyons. Le danger du cinéma est que tout y est offert à la vue, du fait de la caméra. Il faut donc essayer d’invoquer, de recourir à l’incantation, pour faire apparaître des choses qui ne sont pas vraiment  là… Et surtout, le projet personnel de l’auteur doit être d’une seule pièce. »[5].

 

 

 

Charme : attrait magique et puissant qu’une œuvre d’art exerce sur notre âme, jusqu’à nous plonger dans un état d’ivresse et de fascination.

 

 

Je dédie cet article à Amparo G.,  ma soeur d'esprit, wellesienne en diable.

 

 

 


[1] Jean Tulard, Le dictionnaire  du cinéma (réalisateurs), Laffont, 2007

[2] André Bazin, Orson Welles, éd. Du Cerf, collection Ramsay, 1972

[3] André Bazin, Orson Welles, éd. Du Cerf, collection Ramsay, 1972

[4] Joseph Mac Bride, Orson Welles, Rivages/Cinéma, 1985.

[5] Joseph Mac Bride, Orson Welles, Rivages/Cinéma, 1985.

Commenter cet article
L
Cher Daniel,<br /> Curieusement , à l'exception notable de Gilles Deleuze et Stanley Cavell , peu de philosophes contemporains ont écrit sur le cinéma . Pourtant , la façon dont cet art joue de nos représentations de l'espace , du temps et du mouvement , aurait du les passionner , non ?
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D
Cher Philippe, La raison de ce manque d'intérêt pourrait s'expliquer de plusieurs façons j'imagine. Les philosophes armés de concepts se méfient du pouvoir trompeur de l'image. Ou encore, le cinéma a pu passer à leurs yeux pour un simple divertissement, opposé au sérieux de la spéculation philosophique érudite. Pour autant, certains philosophes ont fini par se pencher sur la question du cinéma. Outre les auteurs que vous citez, il y a eu André Bazin (auquel je me réfère dans cet article), Merleau-Ponty dans ses très belles causeries sur l'art et la perception, ou encore Sartre sur Orson Welles. Et, aujourd'hui, avec Ollivier Pourriol, le concept de "cinéphilo" s'est développé. Il reste des territoires à conquérir ! Merci de l'intérêt que vous portez à mes textes. DGL

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