Taïwan, au cœur de l'Asie (2/2).
Lion gardien du temple, Musée National de Taïpei, Taiwan, République de Chine (photo de l'auteur)
Taïwan, « cœur de l'Asie » ? Comme je l'ai dit, c'est ainsi que l'ancienne Formose aime à se présenter. La formule prête à sourire tant le péché d’ethnocentrisme est patent. Et pourtant, de par son histoire tumultueuse, l'île de Taïwan présente des visages bien différents.
Au premier plan, elle est fortement marquée par les traditions millénaires de la Chine. D’abord, par sa population d’origine chinoise, répartie entre les Chinois installés depuis deux siècles et demi et ceux arrivés du continent après 1949, dans la mouvance du parti nationaliste de Chiang Kaï Chek contraint de se replier dans l’île pour fuir les troupes communistes de Mao Zedong (ou Mao Tsé Toung).
Ensuite, par sa spiritualité ouverte, plurielle et tolérante, qui concilie mais sans les confondre diverses déités et divinités: le bouddhisme, le taoïsme, le confucianisme ainsi que les diverses croyances aborigènes; son écriture par idéogrammes; sa gastronomie, sa médecine qui comprend si bien l'union de l'âme et du corps.... Ainsi, il n'est pas rare, dans un temple officiellement consacré à telle déité (en particulier la très vénérée Matsu, déesse de la mer et protectrice des marins), de rencontrer un autel consacré au Bouddha et un autre à Lao Tseu. Dans un temple très populaire de la ville, on compte jusqu’à trois cents divinités! La divinité de la terre côtoie celle des lettrés, ainsi que celle des célibataires en quête de l’âme sœur, ou encore celle des femmes stériles en mal d’enfants….
A quoi s'ajoutent les vestiges bien tangibles de l'occupation japonaise durant près de cinquante ans (jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale). Comme quoi il arrive parfois que les peuples occupés trouvent intérêt à conserver des croyances, des pratiques, des infrastructures qui furent d'abord imposées par l'occupant ici en l'occurrence le système éducatif drastique mais extrêmement efficace, les infrastructures routières et hospitalières... Il n’est pas rare de rencontrer des habitants de l’île parlant aisément le japonais, ou de pouvoir assister, dans des salons de thé ou autres lieux culturels, à des spectacles de tradition japonaise.
En outre, il faut compter sur la présence des peuples aborigènes (répartis en quatorze tribus) lesquels, quoique devenus extrêmement minoritaires, ne cessent pour autant de faire partout entendre leur voix.
Enfin, l’influence américaine et plus largement occidentale est manifeste. Le modèle occidental dont s'inspire manifestement le peuple de Taïwan – tant sur le plan économique que sur le plan politique - transparaît dans tous les domaines de la vie: l’éducation, les transports, le commerce… Initialement introduit par les japonais, puis consolidé à travers les échanges commerciaux et culturels avec tous les grands pays occidentaux, et entretenu grâce aux liens très solides que l’île entretient avec sa diaspora disséminée partout à travers le monde, ce modèle occidental semble néanmoins se concilier fort harmonieusement avec les traditions millénaires de l’Asie.
Il me semble que l'identité de Formose consiste précisément dans cette osmose.
Le taoïsme et le bouddhisme enseignent la constante impermanence des êtres et des situations, ainsi que l'interdépendance entre toutes choses; le confucianisme le culte des ancêtres et la piété garante du lien social; la démocratie le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (en l’occurrence, à élire son président, à édicter sa Constitution, à frapper sa monnaie et posséder son armée) et le respect de la dignité de la personne humaine; le capitalisme enfin, la liberté d'entreprendre et de jouir du fruit de son travail.
La population, la langue, la civilisation et la religion d’un côté, l’histoire et la politique de l’autre, constituent indéniablement des traits essentiels qui rattachent Taïwan à la Chine continentale, quoique de manière fort complexe, ambivalente et, surtout, extrêmement conflictuelle. Il faut savoir en effet qu’entre les deux pays, la guerre n’est officiellement toujours pas terminée, puisqu’aucun armistice n’a été signé pour mettre un terme à la guerre civile de 1949 ! La Chine envisage toujours de faire rentrer Taïwan dans son giron prétendument historique; mais en attendant, elle fait valoir le principe suivant : « Un pays, deux systèmes ». Cette contorsion diplomatique risque très vite de se trouver démentie par les visées expansionnistes de la Chine continentale. De l’autre côté du détroit, l'île de Taïwan veut croire que son destin lui appartient et, en outre, que l'Occident saura la protéger en cas d'attaque.
J'ignore si l’île de Taïwan constitue vraiment le cœur de l'Asie. Mais je suis certain qu'elle se trouve, comme toutes les îles belles, riches et stratégiquement situées, au cœur de l'Histoire passée, présente et à venir.
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Aéroport international Chiang Kaï Shek, Taïwan, République de Chine.
