Taïwan, au cœur de l'Asie (1/2).
Dans le vaste hall de l'aéroport s’active la foule des grands jours et, sur les tapis qui roulent, valsent les valises multicolores. Toute notre petite famille s’efforce de rester stoïque mais, en vérité, brûle d’impatience. Car le grand jour est arrivé, le rêve sur le point de devenir réalité : se retrouver, là-bas, ailleurs, très loin, de l'autre côté de la mer de Chine... Viennent ensuite les formalités douanières qui nous rappellent comment les hommes ont posé des frontières partout sur la terre... Puis la poussée au creux des reins, à l'instant du décollage et, soudain, et voilà que le paysage se met à tanguer, puis à s'amenuiser à vue d'œil, et enfin à disparaître. Soudain, nous voilà la tête perdue dans les nuages...
Bienheureux fils d'Icare que nous sommes! Pour le meilleur et pour le pire, le vingtième siècle comptera assurément parmi les plus décisifs et les plus terrifiants de l'histoire humaine. Mais l'invention et le développement de l'aviation civile demeure l’un des miracles du génie humain dont il faut se réjouir. J’ai beau savoir toutes ces choses, mais ce savoir n’épuise en rien mon étonnement chaque fois que je prends l’avion.
Le grand oiseau blanc a déployé ses ailes et flotte maintenant dans l'azur, bien plus haut que l'aigle ou que l'albatros. Obstinément, il met le cap vers l'est, toujours plus de l’est. Bravant la course du soleil, il file droit vers le Grand Nord pour bifurquer ensuite vers l’Extrême-Orient.
Direction? Taïwan, République de Chine.
Taïwan aime à se présenter comme «le cœur de l'Asie». Entre mythe ethnocentriste, slogan publicitaire et revendication identitaire, on aurait évidemment tort de prendre cette formule tout à fait au sérieux. Car comment pourrait-on seulement définir ce qu'est l'Asie, dire où elle commence et où elle finit? Certes, sur la carte, les géographes s’accordent à contenir l’Asie dans les limites strictes d’un vaste continent bordé d’archipels. Mais y a-t-il un sens à vouloir en déterminer le centre ? Est-ce plutôt la Mongolie, la Chine (l’Empire du milieu), le Japon (le pays du soleil levant) ou les îles de Bali, de Java et de Bornéo?
Certes, la géographie s’évertue à dessiner, à tracer, à fixer des limites partout sur la surface du globe. Il le faut bien! Mais, curieusement, en dépit de cette rationalité géographique, les peuples font l’histoire et inventent des mythes fondateurs, chacun n’ayant de cesse de prétendre être le centre du monde. Qu’est-ce donc que ce monde dont la circonférence est clairement déterminée, mais dont le centre est partout?
C’est pourquoi il me semble bien difficile de prendre tout à fait au sérieux ce genre d’affirmation (Taïwan, cœur de l’Asie). Mais inversement, il me paraît tout aussi difficile que de ne pas m’y arrêter un instant, si je me conforme au principe qui veut que derrière tout cliché se cache une part de vérité.
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.