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Blog de Daniel Guillon-Legeay - Mine de rien, ce blog se propose de développer une approche philosophique sur diverses questions, en prenant appui sur la philosophie bien entendu, mais aussi sur le cinéma, la littérature, les chansons, les arts martiaux, la politique, la morale... Parce que la philosophie s'intéresse à tout ce qui fait de nous des êtres humains, elle ne s'interdit aucune porte d'entrée.

26 Apr

Décalages (1/2)

Publié par Daniel Guillon-Legeay  - Catégories :  #VOYAGES, #ETHIQUE

Décalages (1/2)
1. Evanescence.

 

Il y a quarante-huit heures encore, je marchais dans les rues animées de Taïpei, la trépidante capitale de l’île de Taïwan, accompagné de ma chère et tendre épouse, de mes deux adorables filles et de tous les amis taïwanais qui nous ont fait l’honneur et la grâce de nous accompagner durant tout notre séjour, rivalisant de gentillesse et d’hospitalité en vue de nous faire découvrir les beautés de leur culture et de leur pays. Et voilà qu’à l’heure de vous écrire, je me retrouve chez moi, dans « notre douce France, cher pays de notre enfance » comme le dit si merveilleusement la chanson de Charles Trénet... Or, étrangement, ce voyage me paraît déjà loin… Tandis que je déambulais au milieu des rues de l’ancienne Formose, je ne songeais guère à l’Europe, ni à mon pays, ni à ma vie. Et voici que quarante-huit heures plus tard, à l’instant d’écrire, ici et maintenant, aux portes de Paris, toutes les pensées, émotions, les sensations qui s’agitaient dans mon esprit et dans mon corps semblent s’être évanouies.

 

On aura beau jeu de me faire observer que le corps et l’esprit possèdent d’inépuisables ressources adaptatives. Ou encore, sur un autre plan, que le principe de réalité (les obligations professionnelles, l’appartenance à une société…) ne tarde jamais longtemps pour reprendre ses droits et supplanter ainsi le principe de plaisir (le voyage, les vacances...). J’acquiesce de bonne grâce à ces deux arguments. D’ailleurs, ai-je vraiment le choix ?

 

Il n’empêche que, sans crier gare, le présent a glissé dans le passé. Ai-je donc rêvé ? La vie est-elle un songe? Un songe dont ne peut pas s’échapper pour cette simple qu’il est la substance de notre existence ? La vie n’est peut-être qu’un rêve, mais c’est dans ce rêve qu’il nous faut vivre... Cette pensée m’a souvent traversé l’esprit.

 

Là encore, on aura beau jeu de me faire observer que le passage d’un cas particulier (un voyage à l’étranger) à une vérité générale (la plénitude ou la vacuité de l’existence) ne vaut pas. Mais sur ce point, je ne puis qu’exprimer ma perplexité et mon désaccord. Car nous autres, mortels doués de conscience, sommes pétris dans la pâte du temps. Et la moindre occurrence de notre vie –fût-elle heureuse ou malheureuse !- nous fournit l’occasion d’en mesurer le caractère fragile, éphémère et peut-être vain.

 

Assurément, je ne puis guère douter que ce voyage en Extrême-Orient fait partie de la réalité. J’ai en effet savouré chaque instant de ce voyage, j’ai vécu sans cesse dans l’instant présent, enivré par toutes les sortes de bruits, de sons, d’odeurs, de couleurs caractéristiques de nombreuses villes d’Asie: le désordre savamment organisé de la circulation des automobiles, des bus, des taxis et des scooters; la profusion des échoppes et des étals; les façades d’immeubles littéralement recouvertes d’enseignes publicitaires arborant des signes aussi lumineux que mystérieux à mes propres yeux (les idéogrammes); les saveurs des diverses cuisines qui se préparent dans les rues, de jour comme de nuit ; et, partout et toujours, le parfum de l’encens provenant des temples auquel se mêle, un peu vanillé et plus suave, celui des arbres qui agrémentent les nombreux des parcs de la ville et, également, qui peuplent les montagnes toutes proches.

 

2. Les fils de Prométhée.

 

Pour relier Paris à Taïpei, notre avion a survolé successivement l’Allemagne, la Pologne, la Turquie, la Russie, l’Inde, le Tibet, la Mongolie, la Chine, puis le détroit de Taïwan. Au retour, il a longé les immenses côtes orientales de la Chine, survolé la Corée, avant de bifurquer vers la Russie et de la traverser d’est en ouest, pour ensuite survoler successivement la Finlande, la Suède, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Belgique avant de se poser à Paris. Je me plais à évoquer le nom de tous ces pays, ceux dans lesquels j’ai déjà voyagé et ceux que je ne connaîtrai sans doute jamais, car cette énumération me fait toucher du doigt deux aspects du monde réel.

 

Le premier concerne la contraction de l’espace et du temps qu’accomplissent quotidiennement nos trains à grande vitesse ainsi que nos avions surpuissants, même si , de nos jours, de nombreuses les personnes ne s’en étonnent plus guère. Pourtant, grâce à de tels moyens de transport, il apparaît que le voyage réel (les pays que l’on visite) se double d’un voyage virtuel (les pays que l’on traverse ou survole). Or, l’imagination n’en demande pas tant pour s’affranchir des contraintes de la nature et s’évader vers l’infini de tous les possibles !

 

Le second concerne notre finitude. Les moyens de transports modernes nous procurent un sentiment de toute-puissance – que dis-je, de cette ubiquité qui est pourtant le privilège des dieux !-, ainsi qu’un sentiment enivrant de liberté. Si longtemps les hommes cloués au sol en ont rêvé! Dans un précédent article, je rappelais que nous sommes les heureux fils d’Icare. Il me faudrait préciser que nous sommes aussi les fils de Prométhée. Pourtant, à côté de tous les pays que nous pourrons visiter et découvrir au cours de notre existence, il y a tous ceux que nous ne verrons jamais. Sur ce point, la technologie humaine rencontre ses limites et la nature nous rappelle à ses lois inexorables : être vivant, c’est aussi et du même coup être mortel. La vie est brève.  L’illusion d’ubiquité ne nous confère ni l’omnipotence ni l’immortalité, qui demeurent les attributs exclusifs des dieux. Prométhée, dit-on, fut cruellement puni pour avoir dérobé le feu aux dieux et en avoir fait don aux hommes. Il semble que la malédiction ne soit pas près d’être levée…

 

Revenu à Paris, mon corps porte encore les traces du décalage horaire et me donne  un peu l’étrange sensation de flotter, comme en apesanteur dans l’espace. Mon esprit, quant à lui, paraît avoir recouvré sa spectaculaire et légendaire vivacité - du moins je l’espère !.. Tous les voyageurs connaissent cette sensation de légère ébriété et également d’errance dans l’espace et dans le temps que l’on éprouve au terme d’un long voyage. De plus, l’avion ne fait qu’accroître cette impression en comprimant considérablement l’espace-temps. Mais même sans franchir de telles distances en un laps de temps si court, il est aisé de reproduire cette expérience (lors d’un week-end réussi, ou encore au sortir d’une séance de cinéma...).  C'est alors que nous nous surprenons à déambuler comme dans un rêve, et que nous devons faire effort afin de nous convaincre que nous sommes bel et bien revenus dans la vraie vie...

 

 

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