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Blog de Daniel Guillon-Legeay - Mine de rien, ce blog se propose de développer une approche philosophique sur diverses questions, en prenant appui sur la philosophie bien entendu, mais aussi sur le cinéma, la littérature, les chansons, les arts martiaux, la politique, la morale... Parce que la philosophie s'intéresse à tout ce qui fait de nous des êtres humains, elle ne s'interdit aucune porte d'entrée.

22 Feb

Dans le vent, la présence de Spinoza

Publié par Daniel Guillon-Legeay

Baruch Spinoza (1632-1677)

Baruch Spinoza (1632-1677)

Il y a 341 ans très exactement, le 21 février 1677 s’éteignait à l'âge de 45 ans Baruch Spinoza, l’un des plus grands maîtres de philosophie. Depuis, la terre a connu bien des révolutions, l'océan a continué de ronger nos côtes et d'engloutir force navires, et le soleil immobile de poursuivre sa course d'est en ouest ; oui, mais la philosophie de Spinoza est demeurée bien vivante !  Elle vise à replacer l’homme au coeur de la Nature et au centre de sa vie. Aujourd'hui encore, elle inspire artistes, philosophes et scientifiques.

 

Baruch Spinoza est l’auteur d’une philosophie exigeante et complexe qui replace l’homme au coeur de la Nature et au centre de sa vie. La vertu, nous enseigne Spinoza, ne réside point dans une vie d’obéissance à la morale, mais dans la capacité à augmenter sa puissance d’agir. Il ne s’agit pas de se soumettre à la volonté d’un Dieu autoritaire ni à des catégories transcendantes ; il s’agit d’user de sa raison pour comprendre le monde et conduire sa vie vers le plus de joie possible. 

 

Cela n'aurait guère de sens de tenter en quelques lignes un vague résumé de sa doctrine. Il n'empêche que lorsque l'on commence à lire Spinoza, on sent comme un vent qui balaie tout sur son passage et, vous poussant dans le dos, vous incite à avancer, à sauter des barrières, à oser penser différemment. En tout cas, c'est l'effet que cela m'a fait. Depuis trente-cinq ans, je ne m'en suis - heureusement ! - pas remis. 

 

Je me bornerai ici à mentionner quelques points saillants de sa doctrine qui ont changé ma vie, ma façon de comprendre le monde des hommes ainsi que la force de la philosophie. 

 

Tout d’abord, la conception de Dieu que propose Spinoza. Pour lui, Dieu existe absolument et nécessairement. En apparence, Spinoza semble s’accorder avec la plupart des grandes religions et des philosophes. Mais en vérité, Spinoza affirme que Dieu n’existe que philosophiquement, c’est-à-dire comme principe de productivité et d’intelligibilité du réel, et non comme un juge et un monarque agissant selon des lois arbitraires, protecteur et garant de l’existence humaine. « Deus sive Natura » : en osant assimiler Dieu à la Nature, Spinoza introduit un bouleversement radical : il n’y a pas de causes finales dans l’Univers ; Dieu n’agit pas intentionnellement en vue de fins quelconques, et les choses n’existent pas en vue de quelque raison ordonnée préétablie. L’ordre des choses découle simplement de l’essence, de la nature de Dieu par un déterminisme implacable. Cette conception de Dieu rejoint les grandes sagesses traditionnelles (par exemple, le concept d'interdépendance central dans la métaphysique navajo comme dans le bouddhisme). Elle permet également de penser avec force et cohérence une véritable écologie planétaire

 

 

De même, j'aime la conception originale que Spinoza développe sur l'épineuse question de l'union entre l'esprit et le corps. Il comprend qu'il ne s'agit pas là de deux réalités distinctes et indépendantes, mais de deux modes complémentaires de l'existence; exister, c'est tout ensemble agir et comprendre, respirer et penser (l'un ne va pas sans l'autre). Je vous renvoie mes lectrices et lecteurs à deux de mes articles sur la question ; La grande santé rédigé juste après les attentats de novembre 2015 (il existe un rapport entre ces deux questions de métaphysique et de politique), et "L'esprit et le corps selon Spinoza" qui expose un point central de la métaphysique et de l'éthique de Spinoza concernant l'union de l'esprit et du corps.

 

 

Ensuite, la conception que Spinoza développe de la morale m'apparaît également décisive. Ce qui compte, ce n'est pas de se soumettre à des normes transcendantes, mais de faire grandir en soi le désir et de l'éclairer par la raison pour plus d'efficacité : « Nous ne désirons pas une chose parce que nous la jugeons bonne, mais nous jugeons bonne une chose parce que nous la désirons » ( Ethique, 3,9).  Spinoza repense à nouveau frais le problème de la valeur et du désir. Spinoza fait valoir la force du désir de chacun. Est-ce la valeur qui détermine le désir ou, à l’inverse, est-ce le désir qui détermine la valeur ? Chaque homme est singulier, différent des autres et chacun, en fonction de sa nature, de sa complexion, recherche tel objet plutôt que tel autre qui s’accorde à son désir. Il n’y a donc pas d’objet désirable en soi, ce qui est « bien » ou « mal » en soi, mais seulement ce qui est « bon » ou « mauvais » pour chacun. Ce qui compte, ce n'est pas de se soumettre à des normes transcendantes, mais de faire grandir en soi le désir et de l'éclairer par la raison pour plus d'efficacité et de productivité.

 

 

Enfin, sa philosophie politique. Partant d'une critique des textes de la Bible et des autorités théologiques et politiques, Spinoza fait voir comment ces deux instances de pouvoir se servent de la religion, lorsque celle-ci est dégradée en superstition, pour asseoir leur pouvoir et enchaîner les hommes. Il faut comprendre ce mécanisme d'oppression. C'est l'objet de mon article "La critique de la superstition". Dans sa réflexion de philosophie politique, Spinoza aboutit à une défense du régime démocratique et à une conception de la laïcité à laquelle nous devons beaucoup, même si nous l'avons oublié. La conception de l'Etat de droit qui est la nôtre emprunte beaucoup aux conceptions de Spinoza, notamment grâce à la lecture qu'en ont fait Rousseau et Diderot.

 

 

Pour celles et ceux qui désireraient s'initier à la pensée de Spinoza (d'un abord peu aisé, il faut le reconnaître, et notamment son oeuvre maîtresse, l'Ethique), je recommande trois ouvrages de vulgarisation : 


1. Pierre-François Moreau, Spinoza, Seuil, Écrivains de toujours  (pédagogique et percutant);
2. Gilles Deleuze, Spinoza, philosophie pratique (lumineux).
3. Frédéric Lenoir, le miracle Spinoza, Fayard (à la mode, clair mais peu original).

 

Je m'étais promis de faire bref, mais me voici déjà embarqué. Vous aussi, vous le sentez ce vent qui me pousse dans le dos ? 

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R
Merci pour ce billet. <br /> Votre écriture est belle, c'est agréable de lire un article qui allie le fond et la forme.<br /> Au plaisir de vous lire encore. <br /> Bonne journée et bonne année !
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D
Bonjour à vous,<br /> Je vous remercie pour votre commentaire élogieux et positif, et suis ravi de constater que ce texte a pu vous apporter un peu de cette lumière qui nous vient de loin. <br /> Bien à vous. <br /> Daniel Guillon-Legeay
A
j'aime me promener sur votre blog. un bel univers très intéressant. mon blog sur pseudo. à bientôt.
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S
Beau blog. un plaisir de venir flâner sur vos pages. une belle découverte. un blog très intéressant. J'aime beaucoup. je reviendrai. N'hésitez pas à visiter mon blog (lien sur pseudo). Au plaisir
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