Un centre équestre pas comme les autres.
Une fois de plus, la famille a élu domicile, durant une semaine, au centre équestre du Mesnil d'Argences (dont je vous ai déjà parlé dans un précédent article) situé en Normandie, au cœur du pays d'Auge. Assurément, ce centre équestre possède de nombreuses particularités: l'extraordinaire gentillesse de ses hôtes (Aleth et Franck Durel), l'aménagement d'un gîte au cœur même du centre équestre, en surplomb des carrières et, enfin –last but not least-, la pratique d'une pédagogie fondée sur l'obéissance et sur la discipline autant que sur la psychologie et l'éthologie animale. Et c'est bien sûr ce dernier point qui m'intrigue et me fascine.
Chaque matin, à peine éveillées, et sitôt le petit-déjeuner avalé, nos deux filles scrutent le ciel, soupèsent la forme et le poids des nuages que le vent apporte depuis la mer, supputent les risques d'averses ou les chances de beau temps, enfilent leur tenue et se rendent aux écuries pour saluer avec enthousiasme leurs poneys préférés : Ursula, Shakira, Nordick, Ginger, Rafale, Fripon, Quo Vadis, Jasmine, Chipie..... Sans qu'il y paraisse, les leçons d'équitation commencent dès ce moment, dans l'échange de caresses, d'attentions et de soins que les jeunes cavalières prodiguent aux chevaux. Certes, qui veut aller loin doit ménager sa monture. Mais qui veut aller loin doit aussi comprendre et aimer sa monture.
Ce qui me surprend le plus, ici, c'est de constater comment se concilient si harmonieusement la rigueur et la bienveillance, la discipline et l'empathie à l’égard des chevaux. En effet, lorsqu'un poney ou un cheval n'exécute pas l'exercice que l'on exige de lui, il est conseillé aux jeunes cavaliers et cavalières de chercher une explication plausible à ce refus, de sonder les raisons et les émotions de l'animal. Nul besoin de crier ou de fouetter l'animal. Chercher à comprendre l'animal pour mieux s'en faire obéir, créer avec lui une connivence pour exiger et obtenir de lui bien plus qu'il ne veut spontanément donner. Là réside la clef de la réussite.
Par conséquent, si la cavalière veut obtenir quelque chose de sa monture, elle va devoir faire preuve d'intelligence afin d'en comprendre le caractère, user de la ruse pour en exploiter la force et les capacités physiques. Et cela, tout en douceur. Car, même domestiqué et apprivoisé, le cheval obéit à la nature, et plus encore à sa propre nature. Après tout, galoper et manger restent ses principales préoccupations; quant à la contrainte du travail, comme les hommes, il ne s’y soumet qu’à contre-cœur.
Forcer l’animal sans prendre en considération ses caractéristiques physiques et psychologiques s’avère contre-productif : pour la cavalière qui s’épuise en vains efforts; pour l’animal qui se cabre et cherche à contourner l’obstacle. A l’inverse, en se mettant à l'écoute de l'animal, la cavalière conduit l'animal de façon à ce qu'il puisse donner le meilleur de lui-même, à obéir à celle-ci tout en développant sa propre nature, sa robustesse, son intelligence, son endurance, son agilité. Ce faisant, la cavalière puise dans ses propres ressources et découvre au fond d'elle-même des trésors d'intelligence, de courage et de générosité qu'elle ne se savait pas posséder. Ainsi, en imposant à l’animal le sens de la discipline, la jeune cavalière se l’impose également à elle-même. Merveilleuse et triple conjonction que celle de la nature et de la culture d'abord, celle de la liberté et de la contrainte ensuite, et enfin celle du jeu et du travail.
Non pas que la nature soit toujours et nécessairement bonne pour les hommes. Bien au contraire, elle apporte indifféremment des roses et des virus, des ressources, des soleils couchants et des séismes. Il est donc juste que les hommes apprennent à la combattre et à se prémunir contre cette violence brute. Il me semble que c’est cela que les écologistes purs et durs ont tant de peine à comprendre: la nature n'est pas pure bienveillance ni parfaite harmonie. Les hommes font partie de la nature, mais la nature n'est pas faite pour les hommes. Or, c'est précisément dans cette confrontation avec les forces gigantesques et hostiles de la nature que les hommes ont développé tout leur génie, appris à creuser des tunnels dans le flanc des montagnes, jeté des ponts au-dessus des rivières intrépides, et dompté les animaux sauvages pour développer l'agriculture et l’élevage.... Au sein de ce dernier, l'équitation constitue sans doute un fleuron, puisqu’elle se fonde sur la communication et la collaboration entre des formes très différentes d’intelligence et a rendu possible l’une des conquêtes les plus incroyables de celles qui ont jalonné l’histoire humaine.
Mais pour en revenir à notre frais bocage normand et à notre centre équestre, je me réjouis de voir mes filles apprendre à vivre en harmonie avec la nature et, par-là même, à renouer cet antique lien de complicité et d’intelligence entre l’homme et le cheval.
Qui de l'homme ou du cheval apprivoise l'autre? Là est toute la question....

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