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Blog de Daniel Guillon-Legeay - Mine de rien, ce blog se propose de développer une approche philosophique sur diverses questions, en prenant appui sur la philosophie bien entendu, mais aussi sur le cinéma, la littérature, les chansons, les arts martiaux, la politique, la morale... Parce que la philosophie s'intéresse à tout ce qui fait de nous des êtres humains, elle ne s'interdit aucune porte d'entrée.

23 Apr

Attentat à la pudeur... ou à la liberté?

Publié par Daniel Guillon-Legeay  - Catégories :  #POLITIQUE, #Liberté

La disparition: oeuvre de la photographe yéménite Bushra ALMUTAWAKEL.

La disparition: oeuvre de la photographe yéménite Bushra ALMUTAWAKEL.

 

La menace

 

Dans les lignes qui suivent, je rapporte - par souci de probité morale -  les propos tenus par un imam. Dans ses prêches à la mosquée et sur son blog, il justifie et appelle ouvertement à la violence contre les femmes. Et cela au nom de la pudeur ! Les faits ne se déroulent pas dans un lointain fief de Daech perdu dans les sables d'Irak ou de Syrie, mais ici, en France, patrie de Rousseau, de Montesquieu, de Voltaire et de Victor Hugo. Cet imam affirme : « Une femme sans voile ne doit pas s’étonner que des hommes abusent d’elle. Le hijab, c’est la pudeur de la femme. Et sans pudeur, la femme n’a pas d’honneur. Et si la femme sort sans honneur, qu’elle ne s’étonne pas que les gens, que les frères, que les personnes qui font partie même des hommes, que ça soit des musulmans ou des non musulmans, abusent de cette femme-là». Tels sont les propos de Rachid Abou Houdeyfa, imam de la mosquée Sunna de Brest, directeur du Centre Culturel et Islamique de Brest et membre du Conseil Français du Culte Musulman.

 

A l’évidence, ces infâmes propos sont contraires aux principes de la République. Car qu’est-ce que ce procès d’ « attentat à la pudeur », sinon une déclaration de guerre contre toutes les femmes qui ne se conformeraient pas à ce prétendu « code de l’honneur »? Or, si un responsable politique ou un enseignant s’avisait de tenir de tels propos en public, il se verrait immédiatement suspendu de ses fonctions et devrait en  répondre devant un tribunal. Car si la laïcité garantit la liberté de culte, elle pose également que la foi doit se soumettre à la loi.

 

Mais allons plus loin. En quoi le fait de ne pas porter le voile islamique [1] constitue-t-il un « attentat à la pudeur »? N’est-il pas paradoxal – pour le moins – qu’un responsable religieux cherche à prévenir un supposé « attentat à la pudeur » en préconisant comme remède un véritable attentat à la liberté contre les femmes?

 

De la pudeur et de l’impudeur

 

Qu’est-ce que la pudeur ? On aurait tort de réduire celle-ci au fait de garder voilées les parties intimes du corps : les cheveux, les seins, le nombril, les yeux, ou encore les chevilles. Chaque époque, chaque culture érige des normes différentes à propos de ce qu’il convient, pour une femme comme pour un homme, de voiler ou d’exposer aux regards. Mais la pudeur ne s’arrête pas là. Elle consiste également dans le fait de garder voilés des sentiments et des pensées susceptibles d’offenser autrui. De ce point de vue, les injures rendues publiques, les propos diffamatoires, les appels à la haine, à la violence et à la sédition relèvent de l’impudeur. Voilà ce qu’ignore – ou ce que feint d’ignorer ?- cet infâme imam. Si exhiber en public les parties intimes du corps peut être considéré comme de l’impudeur, alors comment qualifier des propos qui appellent les hommes à « abuser des femmes » jugées impudiques ? Cela ne revient-il pas précisément à combattre l’impudeur par l’impudeur ? Le discours se détruit de lui-même. En lieu et place, se dévoile ainsi la réalité toute nue : des hommes qui n’aiment pas les femmes.

 

En outre, il convient de remarquer qu’il existe une différence décisive entre ces deux formes d’« impudeur ». Dans la première, il s’agit d’exposer en toute liberté son visage ou son corps au regard d’autrui, dans un jeu subtil sur les apparences. Celui-ci est régi par des codes sociaux et moraux à l’égard desquels les individus ont toute latitude pour se positionner, selon qu’ils s’inscrivent - ou non - dans une logique de séduction ou, encore, de reconnaissance. Dans la seconde, en revanche, il s’agit d’imposer à autrui un code vestimentaire de gré ou de force, sous peine de sanctions et de violences. Ce faisant, la liberté de chacun se trouve niée, et l’espace public envahi par la violence. Ainsi, du champ éthique d’où elle a surgi, la question de la pudeur et de l’impudeur se transporte dans le champ du politique en charge de la liberté, de l’égalité et de la sécurité de tous les citoyens.

 

Les vertus de pudeur et de justice

 

On ne doit jamais perdre de vue que la pudeur et la justice sont deux vertus indissociables, dans la vie privée comme dans la vie publique, ainsi que nous le rappelle Platon. Dans  son mythe de Prométhée, lorsqu’il tente de reconstituer en imagination les causes qui ont conduit l’espèce humaine à se détacher progressivement de son animalité originelle, Platon en vient tout naturellement à envisager les épreuves qu’elle a dû surmonter pour échapper à la destruction, du fait notamment des dissensions entre les individus et les peuples. Donc, en misant sur les effets pédagogiques du mythe, Platon montre comment l’acquisition des vertus de pudeur et de justice a sauvé l’humanité de sa propre destruction.

 

« Zeus, craignant que notre race ne fût anéantie, envoya Hermès porter aux hommes la pudeur et la justice, pour servir de règles aux cités et unir les hommes par les liens de l’amitié. Hermès alors demanda à Zeus de quelle manière il devait donner aux hommes la justice et la pudeur. 

- « Dois-je les partager, comme on a partagé les arts ? Or les arts ont été partagés de manière qu’un seul homme, expert en l’art médical, suffît pour un grand nombre de profanes, et les autres artisans de même. Dois-je répartir ainsi la justice et la pudeur parmi les hommes, ou les partager entre tous ? ».

- « Entre tous, répondit Zeus ; que tous y aient part, car les villes ne sauraient exister, si ces vertus étaient, comme les arts, le partage exclusif de quelques-uns ; établis en outre en mon nom cette loi, que tout homme incapable de pudeur et de justice sera exterminé comme un fléau de la société. » [2]

 

Zeus inquiet prie Hermès, le dieu de la communication, d’offrir à tous les hommes sans exception deux vertus : la pudeur et la justice. En quoi ces vertus constituent-elles des bienfaits ? À y bien y regarder, l’une et l’autre sont propres à préserver le lien social, la paix civile et la concorde. La pudeur en effet désigne la maîtrise des désirs et des passions; elle est synonyme de retenue, de discrétion, de tempérance, du sens de l’honneur. La justice, quant à elle, dicte la loi à la conscience; elle implique de respecter  la personne d’autrui, de la considérer comme un égal et de la traiter selon son mérite. Ces deux vertus  permettent ainsi aux êtres humains de s’entendre et de vivre ensemble selon les liens du respect, de la tolérance, voire de l’amitié. Et c'est pourquoi Zeus enjoint à Hermès de les partager de telle sorte que "que tous les hommes y aient part, car les villes ne sauraient exister, si ces vertus étaient, comme les arts, le partage exclusif de quelques-uns". Tel est précisément le but de l’éducation.

 

La disparition

 

Combien de temps nous faudra-t-il avant de refuser ces injonctions arbitraires des imams et des ayatollahs qui imposent leur loi inique contre les femmes? Là réside toute la force de l’œuvre de Bushra Almutawakel (photographe yéménite) intitulée La disparition. Cette série de photos nous rappelle un fait essentiel: l'imposition du voile islamique, sous couvert de religion, vise à effacer les femmes de l'espace public. Or, quand il s’agit de préserver la vertu des femmes, les arguments théologiques pèsent d'un bien piètre poids, si l'on s'avise de les rapporter à la liberté fondamentale d'aller et de venir dans l'espace public, d'exister comme des individus - et non comme des ombres sur la terre [3]. Car, être contraint à l'invisibilité (ce à quoi conduit le port du tchador et de la burqa), c'est être contraint au silence et à l'inexistence. Or, dans l'espace public, il n'y a que des citoyens et des citoyennes, membres du corps politique.

 

A force de faiblesse

 

L’islam qui justifie la violence contre les femmes est incompatible avec les droits de l’homme - qui sont aussi ceux de la femme.  Il faut combattre cet islam sur notre sol, et même aller jusqu’à l’interdire. Car, à force de faiblesse, nous y perdrons notre âme. C’est pourquoi j’ai fait mien ce mot de Voltaire: "Ecrasons l'infâme ! », en signe de ralliement dans son combat contre l'obscurantisme religieux. Seulement, ce combat n’est pas fondé sur la violence, mais sur des idées défendues avec vigueur et sur des lois appliquées avec rigueur. 

 

Les êtres humains peuvent bien découvrir de nouveaux continents, sonder les océans, gravir les plus hautes montagnes, combattre et mettre en échec la maladie, envoyer des fusées dans l’espace, explorer d’autres planètes ou accomplir mille autres prouesses techniques. J’affirme que tout cela ne sert à rien s’ils demeurent incapables de conquérir le premier continent sur lequel ils ont à vivre, depuis toujours et pour toujours : celui de leur propre humanité. De toutes les aventures collectives que les humains peuvent encore tenter, la recherche d’une meilleure compréhension et d’une coexistence apaisée entre les hommes et les femmes me paraît la plus fondamentale de toutes, car c’est d’elle seule que viendra le salut de l’humanité.

 

Je renvoie à mon autre article consacré à ce sujet : La guerre des sexes doit-elle avoir lieu? 

 


[1] Sur la distinction entre les différentes formes du voile islamique, je recommande la lecture de l’article paru dans le journal Le Monde : Niqab, hijab, burqa : Des voiles et beaucoup de confusions: http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/06/11/niqab-hijab-burqa-des-voiles-et-beaucoup-de-confusions_4651970_4355770.html

[2] Platon, Protagoras, 320d-322d

[3] En référence au magnifique roman de James Welch, Comme des ombres sur la terre, qui décrit l’inexorable processus qui a conduit à la disparition des cultures des Indiens des plaines aux Etats-Unis, à la fin du 19ème siècle.

 

 

 

 
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