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Blog de Daniel Guillon-Legeay - Mine de rien, ce blog se propose de développer une approche philosophique sur diverses questions, en prenant appui sur la philosophie bien entendu, mais aussi sur le cinéma, la littérature, les chansons, les arts martiaux, la politique, la morale... Parce que la philosophie s'intéresse à tout ce qui fait de nous des êtres humains, elle ne s'interdit aucune porte d'entrée.

03 Mar

L'homme, la mémoire et la mer.

Publié par Daniel Guillon-Legeay  - Catégories :  #Normandie, #POESIE, #Liberté, #Baudelaire

Plages de Normandie

Plages de Normandie

 

Je n’avais pas retrouvé la présence de la mer ni écouté son chant ténébreux depuis très longtemps. Dans la lumière pâle du soleil d’hiver, le ciel vaste et blême se confond avec la mer d’opale. Le vent fort fait vaciller les rares promeneurs et se courber les herbes dans les dunes. 

 

Toujours la présence de la mer suscite en moi des rêveries et des méditations teintées de mélancolie, tout particulièrement en hiver. Face à l’infini en mouvement, chacun se sent renvoyé à sa petitesse, à ses failles, à ses doutes, à ses espoirs, à ses interrogations. En de tels instants, je ne puis m’empêcher de fredonner – et même parfois de hurler dans le vent - cette très belle chanson de Léo Ferré : La mémoire et la mer : « La marée, je l'ai dans le cœur / Qui me remonte comme un signe / Je meurs de ma petite sœur, de mon enfance et de mon cygne ». Et encore: «  Sur cette mer jamais étale / D'où me remonte peu à peu / Cette mémoire des étoiles ». Il s’agit d’un texte déroutant, mais cependant traversé ici et là de mystérieuses fulgurances.

 

Inévitablement, l’infini de la mer fait écho à l’infini du cœur humain ; à l’instar des cellules assurant le fonctionnement de la vie dans notre corps, les vagues se fracassant dans l’écume portent en elles des millions d’années. "Chaque homme porte en lui la forme entière de l'humaine condition " affirme Montaigne. Et il peut arriver qu'une vie toute entière ne soit pas trop longue pour saisir cette vérité de l'humanisme; encore moins pour s'en rendre digne. Car rien n'est plus difficile que la tolérance et l'empathie à l'égard d'autrui. Rien n'est moins évident que de reconnaître notre frère, notre semblable, notre prochain dans cet être différent arborant une autre couleur de peau, parlant une langue incompréhensible, révérant un ou plusieurs dieu(x). En même façon, la mer porte en elle toute la mémoire de la vie, et toute la mémoire de la Terre. Les sciences peinent encore aujourd'hui à expliquer une partie de ce mystère dont nous entretiennent les anciens mythes ; mais c’est à nous, les êtres humains, que revient la tâche de préserver cette toute-puissante biodiversité.

 

C'est pourquoi, pour le poète, pour le philosophe, pour le savant comme pour le citoyen, ce face à face entre l'homme et la mer demeure une expérience saisissante et irremplaçable !

 

Mais aujourd'hui, en ce début de vingt-et-unième siècle, c'est une autre mémoire qui me tourmente. Une fois de plus, le cœur empli d’une émotion sacrée, j’arpente ces plages de Normandie aux noms étranges : Sword, Juno, Gold, Omaha, Utah. Les vagues du passé montent à l’assaut du présent. Dans le tourbillon de leur écume beige teintée de sang, je vois se fracasser le cycle des années et se précipiter les cataractes de la mémoire. Et dans leur mugissement régulier, j’écoute le cri des enfants jouant au cerf-volant ; il vient remplacer la clameur des soldats morts pour notre liberté.

 

A tous les amis de la liberté, je recommande ce merveilleux poème de Baudelaire:

 

Homme libre, toujours tu chériras la mer !

La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme

Dans le déroulement infini de sa lame,

Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

 

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;

Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton coeur

Se distrait quelquefois de sa propre rumeur

Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

 

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :

Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;

Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,

Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

 

Et cependant voilà des siècles innombrables

Que vous vous combattez sans pitié ni remord,

Tellement vous aimez le carnage et la mort,

Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

 

Charles Baudelaire, L’homme et la mer (Les Fleurs du Mal, 1861). 

L'homme, la mémoire et la mer.
L'homme, la mémoire et la mer.
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M
Des noces de Baudelaire et Ferré, je retiens sa superbe interprétation de "La musique". Jamais entendu qq chose qui me communique un tel sentiment d'élation. Le vibrato de la voix de Ferré et les cordes sont somptueux.
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