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Blog de Daniel Guillon-Legeay - Mine de rien, ce blog se propose de développer une approche philosophique sur diverses questions, en prenant appui sur la philosophie bien entendu, mais aussi sur le cinéma, la littérature, les chansons, les arts martiaux, la politique, la morale... Parce que la philosophie s'intéresse à tout ce qui fait de nous des êtres humains, elle ne s'interdit aucune porte d'entrée.

31 Dec

Nouvel an : attendre ou favoriser le bonheur à venir ?

Publié par Daniel Guillon-Legeay  - Catégories :  #iPhilo

Nouvel an : attendre ou favoriser le bonheur à venir ?

Que nous réserve l'année qui vient? Telle est la question qu’inévitablement chacun d’entre nous se pose à cet instant crucial où une année s’efface pour céder la place à une autre. Nous espérons bien sûr la venue de la joie, du plaisir, du succès, de l'amour, de l'argent et nous redoutons la survenue du malheur, du chagrin, de la maladie, de la souffrance. En sommes, nous espérons connaître le bonheur et éviter le malheur. Quoi de plus naturel en effet ?

Sans être ni aruspice, ni prophète, ni devin, on peut tout au plus raisonnablement présumer que cette année nous apportera assurément beaucoup de choses, certaines fabuleuses et d’autres tristes et, probablement aussi, d’autres totalement insignifiantes, dénuées de toute forme de nouveauté et de surprise. D’ailleurs, comment pourrait-il en aller autrement ? Car en dépit de nos attentes, la réalité extérieure n’est pas changeante au point de se transformer, comme par enchantement, du tout au tout. A cet égard, nous sommes profondément ambivalents : nous souhaitons le changement autant que nous le redoutons. Si aucun changement majeur ne survient, nous nous sentons rassurés dans nos habitudes et dans nos certitudes et, en même temps, nous craignons de vivre une existence morne et ennuyeuse. Si, à l’inverse, un changement de quelque importance vient à se produire, nous sommes séduits par l’attrait de la nouveauté en même temps que nous sommes saisis voire déstabilisés par une forme d’angoisse devant l’inconnu. Sans cesse, nous balançons entre l’espoir de préserver ou de connaître le bonheur et la crainte de le voir nous échapper. C’est en quoi les réjouissances de fin d’année me paraissent toujours un peu dérisoires. Idéalement, « il faudrait que tout change pour que rien ne change » (selon la belle formule de prince Salina dans Le Guépard, magnifique roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, mis en scène par Luchino Visconti)

La vraie question est bien de savoir comment faire pour être heureux ? Elle n’est pas neuve bien sûr – elle est même aussi vieille que la réflexion philosophique, au point d’y occuper une place centrale ! Il n’empêche : si nous définissons le bonheur comme un état stable et durable de satisfaction (tant sur le plan matériel que sur le plan moral) et, corrélativement, d’absence de souffrance, la question est bien de savoir comment atteindre ou préserver cet état de satisfaction?

Faut-il attendre le bonheur ? En d’autres termes, faut-il attendre que les circonstances nous soient favorables ? Car c’est ainsi que nous nous représentons le bonheur ; quel que soit le contenu que l’on voudra lui assigner, nous pensons souvent que le bonheur résulte de la conjonction favorable entre l’ordre de nos désirs et l’ordre du monde. D’ailleurs, l’étymologie des termes semble accréditer cette conception. Car les termes de bonheur et de malheur renvoient au vieux mot français d’heur, lui-même dérivé du latin augurium qui signifie « augure » « chance ».

D’un côté, il est certain que nous ne sommes pas maîtres des événements qui surviennent dans notre existence, et c’est pourquoi il semble légitime de penser qu’il est raisonnable d’ «attendre » le bonheur, c’est-à-dire de l’espérer comme s’il devait advenir. Comment pourrions-nous vivre bien sans cet espoir ? Inversement, n’y a-t-il pas quelque chose d’absurde dans l’idée de se contenter d’attendre passivement, d’espérer que le bonheur survienne comme par hasard ? N’est-ce pas prendre le risque d’attendre longtemps et, par-là même, de n’être jamais heureux? Et surtout, n’est-il pas insensé d’attendre le bonheur comme s’il devait venir inévitablement? Pourquoi devrait-il advenir en effet, sinon dans notre imagination? Pourquoi la réalité devrait-elle s’accorder avec l’ordre de nos désirs ? Cette conception fataliste du bonheur ne fait-elle pas de nous des êtres passifs ?

C’est pourquoi, à l’aube de cette nouvelle année, il me semble important que chacun puisse se demander à quelles conditions lui est-il possible d’être heureux ? Et surtout, de se demander en quoi consiste le bonheur précisément ? Car si nous ne prenons pas d’abord garde à définir notre idée du bonheur (la teneur et le sens de notre attente, de nos aspirations et de nos priorités), comment saurions-nous le reconnaître et en jouir pleinement au moment où il survient dans la réalité? En outre, n’est-ce pas prendre le risque de le chercher là où il n’est pas ? Telle est précisément l’unes des questions centrales que nous pose la philosophie comme « amour de la sagesse ».

Le bonheur est-il seulement et vraiment affaire de chance, de circonstances favorables ou, au contraire, une affaire d’initiative personnelle, de démarche active, consciente, lucide ?

Pour ma part, j’opte pour la seconde hypothèse. Je pense que rien ne peut se produire d’important dans notre existence si nous ne sommes capables de vouloir, d'accueillir et de créer (pour les choses qui dépendent de nous) ni, à l'inverse, d'accepter et de supporter en vue de nous y adapter (pour les choses qui dépendent de nous). Entreprendre un projet qui nous tient à cœur, c’est se montrer actif ; attendre qu’une occasion se présente « à l’insu de notre plein gré » ou jouer à la loterie, c’est se montrer passif. Comprendre que le bonheur est une œuvre à construire plutôt qu’un cadeau « tombé du ciel », c’est décider de prendre notre destin en mains, et non que le destin se saisisse de nous.

Contrairement à ce que l’on affirme trop souvent, je ne partage pas cette conception romantique et romanesque selon laquelle « le bonheur est une page blanche et sans histoire». Conception tragique de l’existence humaine que je considère non seulement comme déprimante (dans ses effets) mais encore fausse (dans son analyse). Car elle présuppose d’une part que seuls le chagrin, le malheur, la souffrance, l’injustice ont une histoire, c’est-à-dire une réalité et une consistance qui les rendraient dignes d’êtres racontés. Elle présuppose encore que le bonheur est vide de sens, dépourvu de toute part de création et de responsabilité. Que les poètes, les romanciers et les journalistes trouvent leur compte dans cette propension au malheur ne m’étonne guère. Il est facile de comprendre cet engouement pour les histoires pleines de drames. En son fond ultime, la réalité est cruelle et brutale (nous ne vivons pas dans le monde des bisounours) et, d’autre part, il est agréable d’assister au naufrage d’autrui pour mieux se rassurer sur son propre sort.

Néanmoins, je considère que c’est vraiment se montrer aveugle face à un autre aspect de la réalité : tous les hommes ne sont pas égaux devant le bonheur et le malheur. Certains avaient en apparence « tout pour être heureux » et n’ont pourtant jamais réussi à l’être ; à l’inverse, d’autres semblaient voués au malheur et ont pourtant réussi leur vie. Mais alors, qu’est-ce qui fait la différence ?

« Si le bonheur existe, c’est une épreuve d’artiste » écrivait Michel Berger dans Cézanne peint. Ainsi, il est possible de montrer que les couples heureux sont d’abord ceux qui ont lutté pour préserver leur désir et leur projet de vivre ensemble, en dépit des moments de découragements, des épreuves, des tentations et des faux-pas. De même, les peuples heureux sont ceux qui jouissent de la liberté après s’être affranchis de la tyrannie, qui ont créé les conditions de la prospérité en travaillant à éradiquer la misère et l’injustice ou, dans un autre cadre, qui vivent en accord avec leurs valeurs, leurs croyances et leur environnement.

Le bonheur est de l’ordre de la conquête, et non de la fatalité. Qu’il faille compter avec les événements extérieurs, avec le moment opportun (les Grecs utilisaient le terme de kaïros), cela est certain. C’est assurément une condition nécessaire, puisqu’il est impossible de faire abstraction du réel. Mais quand l’occasion se présente, c’est l’esprit qui reconnaît cette dernière, et qui décide ou non de s’en emparer avec courage et détermination, lorsqu’il s’agit par exemple de mettre en œuvre les conditions de réalisation d’un projet préalablement mûri, ou encore de permettre à un désir enfoui d’advenir à la lumière de la conscience et de s’épanouir enfin à la rencontre du monde réel.

« Il n’est point de bonheur sans liberté ni de liberté sans courage » disait excellemment Périclès, le père de la démocratie athénienne. Je ne connais pas de meilleure formule pour nous indiquer la voie suivre pour aller à la conquête de notre bonheur. Car sans déterminer le contenu spécifique du bonheur (celui-ci reste à définir par chacun et pour chacun – que ce soit pour un individu ou pour un peuple), Périclès nous enseigne les conditions de possibilité du bonheur : la liberté de penser, de décider et d’agir (cela vaut pour l’homme libre comme pour l’esclave) ; le courage, la force d’âme qui permet de surmonter les obstacles et d’affronter l’adversité.

Article publié également sur le site iPhilo.

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