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Blog de Daniel Guillon-Legeay - Mine de rien, ce blog se propose de développer une approche philosophique sur diverses questions, en prenant appui sur la philosophie bien entendu, mais aussi sur le cinéma, la littérature, les chansons, les arts martiaux, la politique, la morale... Parce que la philosophie s'intéresse à tout ce qui fait de nous des êtres humains, elle ne s'interdit aucune porte d'entrée.

03 Jan

L'homme qui embrassait un cheval...

Publié par Daniel Guillon-Legeay  - Catégories :  #NATURE-CULTURE, #ETHIQUE

La scène se déroule à Turin, en janvier 1889. Nietzsche est malade, gravement atteint de syphilis et son cerveau est sur le point de sombrer définitivement dans la démence. Dans les dernières lettres qu’il adresse à ses amis, il signe indifféremment « Le crucifié » ou « Dionysos ». Alerté par les dernières nouvelles qu’il reçoit, son ami Overberck se rend à Turin pour aller au secours de Nietzsche. C’est Daniel Halévy, l’un des meilleurs biographes du philosophe, qui nous rapporte la scène finale.

 

« Overberck trouva Nietzsche dans sa chambre meublée, chantant, criant sa gloire, labourant le piano avec son coude pour accompagner ses clameurs et ses rugissements. Le logeur, inquiet, le surveillait. Overbeck écouta ses récits. C’est dans la rue que s’était produite la crise finale: Nietzsche, sortant de la maison, avait vu un charretier qui frappait son cheval ; indigné, il s’était aussitôt jeté entre l’homme et la bête, l’enveloppant de ses bras, embrassant ses naseaux, interdisant qu’on le touche. Les passants s’étaient attroupés, un agent de police allait intervenir. Frappé d’un transport au cerveau, Nietzsche s’effondra sur le pavé. Le logeur, descendu au bruit, s’entremit. Nietzsche était bientôt revenu à lui, mais frappé d’un délire qui depuis lors n’avait plus cessé. » (Daniel Halévy, Nietzsche, Paris, 1944).

 

On a beaucoup commenté cet effondrement de Nietzsche pour en comprendre la portée philosophique. Les derniers ouvrages du philosophe doivent-ils être considérés avec sérieux ou, au contraire, interprétés avec précaution à la lueur de la maladie? La question est d’importance pour l’histoire de la philosophie. Mais je ne veux point entrer dans ce genre de considérations. Mon propos est ailleurs : il concerne la question de la maltraitance et de la cruauté dont les hommes font preuve à l’égard des bêtes. Lorsqu’il s’effondre dans la rue, on peut présumer que ce n’est déjà plus vraiment le grand philosophe qui agit, mais seulement l’être humain sensible et indigné par le spectacle d’une cruauté aussi facile que révoltante. Son dernier acte conscient aura été de protéger un cheval de la cruauté d’un charretier brutal, provoquant un scandale dans la rue.

 

On pourrait croire que cette brutalité à l’égard des animaux est d’un autre âge. Les faits, hélas, démentent cette illusion. Je pourrais évoquer le sort réservé aux troupeaux d’éléphants massacrés pour l’ivoire, celui des troupeaux de bisons décimés pour la consommation de leur langue et de leur fourrure, celui des gorilles assassinés pour la transformation de leurs mains en cendriers exotiques… Bref, il me faudrait alors évoquer le sort de toutes les espèces animales en voie de disparition du fait de la cupidité et de la brutalité des hommes…

 

Mais sans même m’appuyer sur des exemples aussi extrêmes, il me suffit de regarder ce qui se passe dans nos paisibles centres équestres. Il semble en effet que la maltraitance soit chose courante dans le milieu hippique. Comble du paradoxe, que cette violence infligée aux chevaux...par des personnes qui prétendent aimer les chevaux. Je vous renvoie ici à l’article rédigé par une jeune fille de quinze ans, et passionnée d’équitation, paru sur le blog, Les Poneys de Philippine, (voir lien ci-dessous).

 

Pour ce qui est de la violence en général, celle dont les hommes se montrent capables à l'égard des bêtes, l’histoire n'est hélas pas nouvelle. Il y a quelques années de cela, Brigitte Bardot s'indignait - à juste titre d'ailleurs- contre le massacre des bébés phoques. L’indignation est indispensable pour mener de grands combats. Mais l’indignation ne suffit pas; elle constitue une condition nécessaire, mais non suffisante. Au-delà des bons sentiments, il faut avoir des idées claires et fortes. La question est de méthode autant que de stratégie.

 

C'est pourquoi une approche rationnelle et savante est indispensable. Le grand Montaigne s'insurgeait contre la cruauté à l'égard des bêtes (j'y reviendrai plus loin, c'est promis). Aujourd'hui encore, il y a des philosophes et des savants qui essaient défendre le statut de l'animal. Je pense notamment aux travaux du psychiatre et éthologue Boris Cyrulnik, ou encore à ceux de la philosophe Elisabeth de Fontenay qui défend l'idée que les animaux ont des droits.

 

Que savons-nous des bêtes ? Que peuvent-elles nous apprendre sur nous-mêmes ? Pourquoi la notion d’un « droit des animaux » est-elle si difficile à concevoir et, plus encore, à mettre en application? Si nous devions reconnaître des droits aux animaux, cela modifierait inévitablement bon nombre de nos comportements, de nos modes de vie et de nos systèmes juridiques (notre code civil et notre code pénal). Le simple fait d’abattre un chien ferait-il de l’homme un assassin? Ces questions sont fondamentales, car elles nous engagent bien plus loin que ce nous sommes généralement prêts à admettre.

 

Dans ce blog, j’y reviendrai souvent.

 

Depuis un siècle et demi, de nombreux combats ont visé à réhabiliter des fractions entières de la communauté des vivants victimes d'incompréhension, de mépris et de violence; je pense bien sûr aux femmes, aux enfants et aux bêtes. Mais progressivement, la connaissance scientifique et la réflexion philosophique ont permis d’apporter des arguments forts, afin de renforcer le combat politique et de faire progresser la démocratie. C’est pourquoi nous avons autant besoin de stars célèbres pour alerter l’opinion que de savants et de philosophes pour faire progresser la raison.

 

Mais, pour conclure, je voudrais revenir un instant à Nietzsche, l’homme qui embrassait un cheval. Dans leur grande démence, les fous parfois nous révèlent les égarements de notre raison qui déraisonne. En enlaçant le cou d’un cheval pour le protéger des coups d’un charretier brutal, l’auteur de « Humain, trop humain» nous indique la voie de que signifie être humain. Notre humanité ou notre inhumanité se jauge aussi à proportion de l'amour dont nous sommes ou non capables à l'égard des animaux.

Daniel Guillon-Legeay

Ursula

Ursula

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A
Merci, Daniel, pour ton article, humain, juste humain.Je le partage.
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F
Mon animale totem centrale c'est la libellule . ? Révélé par un tirage de cartes amérindiennes et de part ma belle-soeur qui y croie .... Libellule, c'est assez juste si on me connait. La libellule c'est l'autre forme du dragon ! humm attention, mais le dragon est au fond gentil.
D
Chère Anne-Catherine,<br /> <br /> Je suis ravi - mais non pas surpris- de voir que tu apprécies ce regard porté sur les rapports si étranges qui peuvent unir des hommes et des bêtes. Cette vision, encore si peu partagée dans les sociétés dites modernes et industrielles, est connue depuis des millénaires dans d'autres sociétés dites traditionnelles, au sein desquelles le chamanisme constitue une voie d'approche de ce type de rapports. Dis-moi quel est ton animal totem et je te dirais qui tu es.... Quel serait ton animal totem? <br /> <br /> Au plaisir de lire ta réponse<br /> <br /> Amicalement.
A
Oui, les animaux et nous sommes très proches, je le sens...Vivant parmi les chevaux depuis mon enfance, je sais combien ils nous ressemblent, avec leurs sentiments, leurs émotions, leur bonne volonté...à condition qu'on leur laisse une vie le plus naturelle possible : vivre dehors, avec de l'herbe et de l'espace, en groupe pour développer des relations sociales, et être bien nourris. Dans ces conditions nos chevaux sont heureux et acceptent volontiers d'être montés et de travailler avec leur cavalier. Il faut aussi que les séances d'équitation soient agréables pour les chevaux : pas trop fatigantes, avec des pauses, des exercices variés, un échauffement physique et moral convenable, ne pas abuser des sauts d'obstacles, aller en balade, ne pas s'abrutir à la queue leu leu... c'est toute une technique à acquérir, une écoute respectueuse de l'animal à développer...tout un programme!
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D
Chère Philippine,<br /> <br /> C'est précisément parce que &quot;toutes ces conditions ne sont pas appliquées partout&quot; qu'il faut oeuvrer pour les améliorer. Si le mot de progrès a un sens, ce n'est pas au sens d'un état des choses que l'on jugerait satisfaisant une fois pour toutes, mais au sens d'une amélioration toujours possible. Et je ne vois pas d'autre possibilité que celle du combat pour faire avancer les choses. Le combat contre l'ignorance, les préjugés, l'orgueil et la bêtise. Autant dire qu'il nous reste du pain sur la planche....<br /> Il me semble cependant qu'Aleth nous indique une voie importante. Le combat, heureusement, ne signifie pas de dégainer le glaive ou le revolver pour se faire entendre!... La fidélité à des valeurs est aussi une forme de combat. Il peut se faire avec détermination, fermeté, non-violence et douceur. <br /> <br /> A méditer cette phrase du philosophe Alain: &quot;Penser, c'est dire non&quot;. <br /> <br /> Cordialement.
P
Tout à fait d'accord ! Dommage que toutes ces conditions ne soient pas appliquées partout...
D
Chère Aleth,<br /> <br /> Je te remercie pour ton commentaire à la fois si gentil et si instructif. Il me touche et m'interpelle très fort, car ta longue expérience des chevaux me paraît pleine d'enseignements que tout philosophe se doit de méditer. L'orgueil humain - fondé sur le sentiment inébranlable de notre supériorité et sur notre confiance aveugle dans la technique- a fini par nous faire oublier notre parenté avec les bêtes, et même avec nos frères humains. Dans mon prochain article, je m'efforcerai de développer cette question essentielle. <br /> <br /> Merci beaucoup.

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